Le numérique dans tous ses états

C’est aujourd’hui acquis : le numérique au sens large – plus précisément le digital – transforme nos pratiques de consommateurs, d’usagers, de citoyens, de travailleurs, …et ce de façon accélérée depuis le début de la crise sanitaire. Nous en faisons tous l’expérience individuelle et collective quotidiennement, parfois même sans plus y penser… Tous ? Pas si sûr. Car encore faut-il y avoir accès et savoir “naviguer” ! C’est tout le défi politique, économique, social, culturel et technique posé par les nouvelles fractures numériques, à la fois sociales et territoriales… Le récent rapport du sénateur Vall, « Lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique » montre qu’il est désormais temps d’accélérer l’accompagnement des citoyens dans l’acculturation au numérique et que l’inclusion numérique tant dans les territoires que dans les entreprises ou à l’école doit devenir une cause nationale et un service d’intérêt public.

Au-delà de nos pratiques, le digital modifie aussi en profondeur notre rapport à l’espace. La digitalisation n’est pas un processus “virtuel” qui se développerait de manière autonome et déconnectée du monde “réel”, physique. Les deux s’imbriquent, se complètent, et se transforment mutuellement.  Loin d’être exhaustives, voici quelques clefs permettant d’appréhender ces liens :

  • Le digital prend en charge un certain nombre d’activités auparavant déployées dans l’espace physique, [1] auquel on peut désormais assigner d’autres objectifs pour lesquels une coprésence réelle des individus et des objets est nécessaire. L’espace doit donc être repensé à la faveur de ses nouvelles fonctions. Ainsi, alors que les enseignements à distance, l’usage progressif des technologies immersives, bouleversent le rapport enseignants enseignés et les formes pédagogiques et éducatives, les espaces physiques d’enseignement se redéployent de leur côté de plus en plus autour de nouveaux enjeux : accompagnement, débats, mise en pratique, environnements dédiés pour du prototypage ou de la simulation (studios verts)[2].

  • Le digital a besoin de l’espace physique pour être réellement opérant ; pour exemple, la réussite de la dématérialisation des services publics et l’accès même aux services publics sont en grande partie conditionnés par les activités de formation et d’accompagnement déployées dans l’espace physique des MSAP et autres relais de proximité. Ces lieux, en plus de l’objectif de présence humaine ont donc pour vocation de permettre l’accès à des services dématérialisés et y consacrent en conséquence les espaces adéquats. Le mariage des approches physiques et digitales (« phygitale ») apparaît désormais comme une réponse indispensable aux besoins des citoyens qui expriment le souhait d’une part d’accéder à des services publics en ligne à n’importe quel moment, d’autre part de disposer d’une écoute et d’un accompagnement physique pour les aider à résoudre leurs problèmes sur mesure.

  • Le digital transforme notre perception -et donc nos pratiques- de l’espace, notamment public : tour à tour il devient un « objet programmé de l’espace » permettant l’accès à des services spécifiques, via le mobilier connecté par exemple ; un moyen de découvrir un lieu de son canapé avant même de le parcourir physiquement, grâce à la réalité augmentée ou immersive ; un vecteur de nouveaux usages non prévisibles dans l’espace, provocant des frictions inédites entre réel et virtuel – l’exemple le plus emblématique demeurant celui des manifestations (drôles ou désastreuses ?) du jeu Pokémon Go…

  •  …

La nature des liens et le potentiel des synergies entre espace physique et digital sont vastes et loin d’être complétement explorés. Mais quelle que soit l’échelle (architecturale, urbaine, territoriale) et la thématique (commerce et logistique urbaine bien sûr mais aussi santé, éducation, culture, habitat, espace public…) ces liens existent, évoluent, s’amplifient. Nous, professionnels de l’urbain et de l’aménagement, devons en prendre la juste mesure.

Pour le meilleur ou pour le pire, ces liens modifient le parcours de l’usager, son « expérience » globale. S’il est vrai que le digital peut palier la non-disponibilité de l’espace physique – en témoigne l’expérience récente du confinement – sa véritable valeur ajoutée ne se trouve pas dans la seule « prise de relais » voire substitution de l’espace physique mais bien dans l’interaction entre les deux.

Espaces physique et digital doivent donc être pensés de concert, comme les « 2 faces d’une même pièce ». C’est bien ce qu’il y a en jeu dans le néologisme “phygital”, qui renvoie à la combinaison subtile entre ces deux logiques.  Pour autant, ces enjeux sont trop peu formulés dans la commande publique – ou du moins, rarement imbriqués comme ils devraient l’être, au sein d’une réflexion systémique et transversale. La pensée « en silo » et les actions qui en découlent en matière de politiques publiques expliquent cette absence de prise en compte dans les stratégies territoriales et la commande publique.

A l’inverse, il n’est plus envisageable – et les citoyens l’expriment très clairement dans les enquêtes d’opinion sur la ville de demain – de développer une offre numérique sur les territoires qui serait « hors sol », sans qu’elle réponde aux défis de ces territoires et soit parfaitement intégrée à ces derniers.

Il est grand temps de travailler plus systématiquement à une relation « Win-Win », entre les deux univers. Nous ne pouvons plus faire l’économie d’une réflexion « phygitale » dans les projets d’aménagement de l’espace urbain comme architectural, et c’est à travers la question des usages et plus précisément du « parcours usager ou utilisateur » qu’il s’agit de s’y atteler. L’enjeu est de sensibiliser, d’acculturer, d’aider les maîtrises d’ouvrage à maîtriser et dominer ces sujets plutôt que de se les voir imposer par les acteurs privés, et de faciliter l’émergence de nouveaux projets davantage en phase avec les aspirations des citoyens et des responsables locaux.

Le rôle de la programmation est précisément de déterminer la vocation et les usages d’un lieu objet de transformation. C’est donc certainement depuis cette pratique, adossée à une expertise pointue dans les domaines du numérique et du digital, que ces enjeux peuvent être le mieux saisis, explorés et traduits à la fois dans l’espace et le temps. Cette transformation doit s’appuyer sur une ambition et une vision forte en ce qui concerne le positionnement, la vocation, les contenus du lieu.

C’est également depuis la démarche de programmation que vont être mises à jour les conditions opérationnelles du projet – et notamment les conditions infrastructurelles (système d’information, matériel) servicielles (contenus) et organisationnelles (ressources humaines) : ainsi le succès d’un projet d’école au projet éducatif numérique ambitieux dépend autant de la programmation de l’espace à proprement parler que de l’adaptation du système d’information en conséquence, de la formation des personnels, des services qui vont être offerts…

C’est dans cette perspective, forts d’expériences communes de plus en plus nombreuses, qu’attitudes urbaines et Taran Consulting, ont décidé de proposer une offre de prestation intégrée aux maitrises d’ouvrage souhaitant s’emparer du sujet.

[1] Avec une plus-value certaine (gain de temps, économie de déplacement).
[2] Voir sur ce point l’expérience de France Immersive Learning : https://www.i2l.fr/