Fluctuat nec Mergitur ?
La résilience urbaine en question (s)

La résilience, dans le domaine de la gestion des risques, se définit comme la capacité d’un système à “absorber une perturbation majeure, une catastrophe naturelle, en permettant un fonctionnement en mode dégradé et un retour à un état acceptable le plus rapidement possible”.

Mais qu’en est-il de la résilience spécifiquement appliquée à la ville, ou au territoire ? Face à la crise protéiforme que nous vivons actuellement, souhaite-t-on vraiment se contenter d’un « retour » à l’état antérieur, à l’heure où « le monde d’après » est plébiscité de toutes parts – sans d’ailleurs faire l’objet d’une description sinon claire, du moins consensuelle ?

C’est certainement la notion de durabilité urbaine qui peut caractériser le mieux cet objectif « d’après » à atteindre[1]. La Ville durable, qui prône et recherche un développement social, économique, environnemental équilibré, en mesure de ne pas compromettre celui des générations futures.

Pourtant, même dans cette perspective, la résilience urbaine apparaît comme un prérequis indispensable : pour tendre vers la Ville Durable, il faut donner à la Ville les moyens d’anticiper, de gérer et de se relever des perturbations progressives ou brutales qui adviennent (intensification des événements extrêmes), et sous des formes de plus en plus variées (risque climatique, terrorisme, crises sociale, économique, sanitaire, …).[2] D’outil au service du maintien d’un état antérieur, la résilience apparaît sous un autre jour : un moyen incontournable de tendre vers la Ville durable.

En premier lieu, il s’agit bien sûr de garantir la « survie de base » du système urbain, c’est-à-dire l’opérationnalité constante des réseaux et infrastructures indispensables à son fonctionnement, sans lesquels la ville s’arrête et qui sont souvent en première ligne des inondations et autres catastrophes. 

L’interdépendance des réseaux et des infrastructures appelle notamment à une coordination exemplaire entre les différents réseaux techniques (énergie, déplacements, télécommunications…) et réseaux de gestionnaires (opérateurs mobiles, GRDF, ERDF, grandes entreprises déléguées comme Suez ou Veolia, SNCF…).

Toutefois, si la survie de base des réseaux est essentielle, elle n’est pas suffisante pour participer de la construction de la Ville Durable.  Pour y contribuer véritablement, la notion de résilience urbaine doit inclure une réflexion sur l’adaptabilité des systèmes urbains et sociaux pour garantir non seulement leur survie mais plus encore leur permettre d’accompagner les évolutions fondamentales souhaitées et définies collectivement au préalable.

De la survie “en l‘état” à l’adaptabilité au service de la ville durable

Formulons la question en ces termes : comment garantir la même adaptabilité en temps réel à l’accélération des transformations économiques et sociales, à l’émergence et la multiplicité de nouvelles pratiques, aux changements des mentalités ?>Aujourd’hui plus que jamais la rapidité de ces changements semble en inadéquation avec le temps long de l’urbanisme et de l’architecture, qui doivent se renouveler à l’aune de ces considérations comment cette adaptabilité peut être mise au service d’un développement urbain durable ?   

Dans cette perspective, la résilience peut ainsi définir une approche à la fois opérante et transversale pour penser des projets urbains et architecturaux au service de la Ville durable : une ville qui s’adapte en continu non seulement pour survivre, mais pour tendre vers un idéal de durabilité urbaine.

Les démarches de projet, au premier rang desquelles la démarche de programmation, doivent donc intégrer pleinement le concept de résilience, non pas comme fin en soi (“la survie pour la survie”), mais comme levier d’innovation au service d’ouvrages, de quartiers, de villes, de territoires plus durables.

A l’échelle d’un projet urbain, on peut par exemple penser à la façon de favoriser, par la programmation et l’aménagement :

  • l’organisation de réseaux de solidarités, qui tout en renforçant la capacité à agir et à réagir en temps de crise sanitaire ou économique, participent de la construction du pilier humain du développement durable (on pense ici notamment à la prise en compte dans le projet des tissus associatifs et entrepreneuriaux locaux comme socle de parties prenantes à associer à l’élaboration du projet) ;
  • la nécessité de développer les capacités productives locales et les circuits courts qui, tout en diminuant la dépendance d’un territoire vis-à-vis de l’extérieur et en augmentant sa capacité à faire face à des stress chroniques, participent de la création d’emploi local pérenne ;
  • la préservation des zones forestières et des habitats naturels, dont le rôle dans la prévention de l’apparition des zoonoses a été prouvé, et qui contribue à apporter une réponse aux enjeux de préservation de l’environnement ;
  • l’anticipation des changements d’usage, sur le temps long ou sur le temps court, des bâtiments, des espaces publics, qui tout en permettant de s’adapter en temps réel aux évolutions des pratiques, peut favoriser l’allongement de la durée de vie des bâtiments, au profit d’une hybridation intelligente, dans le temps et dans l’espace, des usages, des temporalités et des publics…
  • ou encore, la pérennisation de gouvernances locales qui place les parties prenantes au cœur de processus de gestion de la résilience.

Prospective, souple et politique : la résilience intégrée à la démarche programmatique

On part ici du principe que l’objectif de Ville Durable fait consensus comme objectif, plus ou moins utopique, à atteindre. La résilience quant à elle est entendue comme un outil, un mode opératoire, donc l’efficacité peut se mesurer, s’évaluer, etc…Pour cela, la résilience doit systématiquement être pensée au regard d’une triple approche : prospective d’abord, même si – d’autant plus que ! – les incertitudes sont grandissantes et les variantes des scénarios de moyen et long termes nombreuses et parfois inconnues ;  souple et créative ensuite, car aujourd’hui plus que jamais être résilient suppose de ne pas graver les choses dans le marbre et invite à laisser la place à la sérendipité au service de la créativité ; politique enfin, car la lisibilité et le maintien du cap de la durabilité est essentiel pour que la notion de résilience puisse résolument s’inscrire dans un système de valeurs.

Sur ce dernier point, les acteurs, l’intelligence collective, en somme les enjeux de gouvernance locale et de gestion doivent être au cœur des préoccupations pour porter et assumer de véritables choix de société.

ZOOM – Application de cette triple approche à un des exemples mobilisés ci – dessous : l’anticipation des changements d’usage.

  • Prospective : l’individu est de plus en plus mobile et imprévisible, du fait d’une instabilité croissante dans toutes les sphères de sa vie (famille, loisirs, travail, cercles sociaux…). La tendance est, en conséquence, à une hybridation des pratiques, des temporalités, des espaces On peut imaginer – et on doit anticiper – les incidences que cela peut avoir en termes réglementaires (demain, une affectation des sols non seulement en plan mais en dimension temporelle ?), économiques (demain, des valeurs immobilières estimées non plus au regard de la fonction mais de l’intensité fonctionnelle avérée ou potentielle ?)
  • Souple et créative : penser l’évolutivité sur le temps long (des bâtiments, des espaces publics dont on allonge la durée de vie en anticipant la possibilité d’un changement d’usages au fil du temps) ou sur le temps court (polyvalence, modularité et caractère amovible des espaces et de leurs équipements selon les moments de la journée et/ou de la nuit, de la semaine, de l’année) > permet limitation des dépenses, des déplacements, favorise mixité et sociabilités, sérendipité,+ donner des exemples concrets, acte de mobilisation des acteurs sur leurs propres objets de vie, …
  • Critique/politique : point d’attention : c’est anthropologique, l’Homme a besoin de repères. La résilience au service de la Ville durable ne peut donc pas être massivement et aveuglément dirigée vers le tout polyvalent, qui peut s’avérer être tout aussi dangereux que le tout sécuritaire en matière de projet urbain et architectural. Ou placer le curseur ? véritable choix de société et donc éminemment politique, c’est bien depuis la pratique de la programmation, qui vise à questionner puis maintenir le fil de l’ambition collective tout au long des projets, que cette question se pose naturellement. Portés par la démarche de programmation, les acteurs, l’intelligence collective, en somme les enjeux de gouvernance locale et de gestion doivent être au cœur des préoccupations !