Au-delà de la continuité éducative :
le projet urbain face au défi de la formation !

Depuis 2012, l’UNESCO a mis en lumière le concept de villes apprenantes. Une ville – ou territoire – apprenant se distingue par l’effort entrepris par la collectivité et tous les partenaires éducatifs et de la formation pour développer l’apprentissage pour tous et tout au long de la vie. Cette démarche cherche ainsi à promouvoir l’épanouissement individuel, la cohésion sociale et le développement économique – en facilitant tant l’autonomisation intellectuelle que l’insertion vers l’emploi. 

En France, ce concept fait naturellement écho à la notion de continuité éducative qui depuis 1989[1], fait l’objet de nombreuses politiques publiques visant à replacer l’enfant au centre du système éducatif et à renforcer les liens entre les divers acteurs de la coéducation. Il s’agit de mettre en cohérence les rôles respectifs de chacun (école-famille-acteurs sociaux-territoires), les temps (hier-aujourd’hui-demain), et les espaces (école-périscolaire-extrascolaire)[2].

Qu’elle soit centrée sur l’enfant et le système éducatif ou abordée dans le cadre d’une approche territoriale, sociale et économique élargie, c’est au final la mise en cohérence des actions des différents acteurs autour d’une pratique partenariale renforcée et d’objectifs communs qui constitue le véritable défi pour les territoires qui souhaitent s’engager dans des stratégies ambitieuses de qualité éducative et de formation, d’accessibilité de l’offre et d’accompagnement des parcours.

La question de la formation – initiale ou continue – s’invite d’ailleurs de plus en plus à la table des débats quand il s’agit de réfléchir au projet urbain : au travers de la question de la vie étudiante et des synergies ville – campus, face au constat incontournable de phénomènes massifs de chômage et de décrochage scolaire et/ou de terreaux économiques et entrepreneuriaux fragiles gagneraient à être confortés par une offre de formations adaptée…La formation représente un enjeu majeur en termes d’attractivité territoriale, d’insertion économique et sociale.

Mais la question de la formation est bien différente de celle de la continuité éducative, dans les secteurs primaire et secondaire. Elle a ses spécificités, ses logiques, ses acteurs et ses défis propres. 

Le propos développé ici ne prétend pas apporter des réponses et des solutions « toutes faites », mais plutôt de proposer aux acteurs locaux et aux décideurs un premier décryptage des réalités complexes en jeu dans la formation, et de s’interroger sur l’intérêt d’une démarche de programmation urbaine comme « moment propice » pour mieux prendre en compte la formation dans le cadre de l’élaboration du projet urbain. 

La formation : une réalité plurielle, un secteur en évolution rapide 

Initiale ou continue ? Professionnelle ou fondamentale ?  Supérieure ou pas supérieure ? En présentiel, à distance ou un peu des deux ?  En alternance ou non ? Diplômante, qualifiante ou certifiante ? Et la liste est encore longue…La formation est un « secteur » aux acteurs multiples, aux réalités économiques et immobilières plurielles, aux enjeux complexes et à la concurrence forte.

Prenons la formation professionnelle, passée sous le feu des projecteurs à la suite de la vaste réforme dont elle a fait l’objet en 2018. Elle se décompose en 2 volets – la formation initiale pour les ados et jeunes adultes (CAP, Bac pro, BTS, DUT…) et la formation continue pour les personnes en activité, au chômage, au RSA (différents types de qualification). Si la Région pilote, elle est loin d’être la seule à la manœuvre …et on constate une grande diversité et/ou complexité  :  

  • Des politiques publiques : l’articulation « éducation-orientation-formation-emploi » dans un continuum efficace se fait difficilement, malgré l’existence du CPRDFOP[3], outil de programmation régional dont c’est l’objectif. En cause, une grande dispersion règlementaire[4], des organisations variables et souvent peu propices aux synergies entres types de formations et entre formation et emploi [5] ; et une répartition des compétences ambigüe entre la Région et ses partenaires[6].
  • Des acteurs : publics ou parapublics (GRETA, APFPA, CNED, Pôle Emploi, Chambres consulaires, CNAM…), privés à but lucratif (indépendants, entreprises, grandes écoles – pour lesquels la formation continue constitue un enjeu financier de plus en plus prégnant) ou privé à but non lucratif (associations, coopératives, mutuelles), tout le monde ou presque possède ses propres outils de formation…sans oublier les réseaux qui représentent, régissent, appliquent, orientent.
  • Des lieux d’enseignement : dispersée dans un nombre important de lieux d’enseignement aux configurations immobilières et modèles économiques très variables, on trouve des offres de formation dans des lycées professionnels et techniques, sur des campus, au sein des CCI, dans les locaux des entreprises, dans des centres AFPA, dans des salles louées dans des ensembles immobiliers dédié ou hybrides…
  • Des modalités pédagogiques : en plus de la variété des durées de formation et des plages temporelles de déploiement (journée, cours du soir…), on observe aussi – notamment du côté de la formation continue – une diversification des modalités pédagogiques… et un jargon associé prolifique : formation présentielle, classe virtuelle, e-learning, gamification, blended learning, social learning, micro learning, immersive learning..

Quoiqu’il en soit, les nouveaux impératifs sont l’hyper accessibilité, l’ultra flexibilité, bref la personnalisation de l’offre au regard des attentes d’une part des individus, d’autre part de l’économie et des entreprises (exemple : augmentation des formations « intra » versus « inter » entreprises). La « Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel », adoptée en 2018 incarne et accélère ces tendances, à l’appui notamment de : 

  • La réforme du Compte Individuel de Formation (CPF), qui vise à rendre chaque individu acteur de son parcours professionnel, et plus agile face aux mutations technologiques : monétisation du CPF, et achat direct de la formation choisie via une application mobile gérée par la Caisse des dépôts et consignations
  • La réforme de l’apprentissage, dont l’objectif est de lutter contre le chômage des jeunes en dopant le marché des formations dédiées : retrait du pouvoir de régulation des CFA aux Régions et transfert du pilotage aux branches professionnelles, passation de la responsabilité de l’Orientation de l’Education Nationale aux Régions, ouverture de CFA simplifiée, indexation des subventions au nombre de contrats d’apprentissage signés, assouplissement des conditions de rupture de contrats…
  • Une obligation de certification des organismes de formation (dont CFA) par un organisme tiers pour pouvoir bénéficier souhaitent bénéficier des fonds des opérateurs de compétences (OPCO, qui remplacent les OPCA), de l’état, de la région…
Au-delà d’une nouvelle distribution des rôles dans le pilotage des politique publiques, la nouvelle donne pour les acteurs du monde de la formation se pose en termes d’accroissement exponentiel de la concurrence. Notamment pour les CFA existants et les formateurs indépendants dont l’équilibre budgétaire est désormais directement lié au nombre d’apprentis ou au nombre de titulaires de CPF qu’ils vont former. Cela suppose un d’accroitre leur visibilité, d’adopter une posture proactive de conquête, mais aussi de mutualisation des moyens, et de refondre une partie de leur offre pour proposer de nouveaux formats de formations plus accessibles, personnalisées et flexibles. 
 

La formation, un angle mort des projets urbains ? 

Complexe et multi-acteurs, soumis à des évolutions réglementaires et législatives récentes, le champ de la formation est en réalité souvent difficilement appréhendé – voire occulté – par les Maitrises d’Ouvrage et leurs AMO dans le processus d’élaboration du projet urbain. Au mieux, les politiques publiques ambitieuses sont prises en compte mais peinent à s’incarner dans des actions concrètes, au pire la question est posée sous l’angle de la « coquille immobilière vide à remplir », ou formulée comme « concept programmatique » à l’ambition et aux modalités de portage floues… 

Pourtant, le cadre de l’opération urbaine représente sans aucun doute un vrai « tremplin » pour des déclinaisons de projets de formation qui soient concrètes, intégrées et adaptées aux enjeux urbains, sociaux, économiques spécifiques d’un quartier ou d’un territoire. 

L’élaboration du projet représente en effet un moment propice pour mettre à profit les énergies et les acteurs dans le cadre d’une dynamique partenariale constructive, et consolider en retour le positionnement d’un projet autour d’une vocation forte : celle d’un quartier ou d’un territoire « apprenant » !

 A ce titre, la démarche de programmation urbaine peut – et doit – jouer un rôle clef au côté des territoires, pour les aider à traduire dans le cadre concret du projet urbain les politiques publiques dont ils sont porteurs. La formation au sens large gagnerait donc à être mieux intégrée dans les commandes des MOA comme dans les grilles de lecture des AMO pour aider à identifier les ressources locales, consolider l’indispensable portage politique, mobiliser les partenaires, et faire converger, quand cela est possible, les intérêts publics et privés du territoire. 

Pour les maîtrises d’ouvrage qui souhaitent mieux intégrer l’enjeu de la formation dans le cadre de leurs opérations urbaines, voici en guise de conclusion quelques pistes pour aborder cette question et mieux l’articuler à l’AMO en programmation urbaine tout en évitant un écueil principal : celui de minimiser la complexité du sujet ! 

  • Vigilance sur le tour de table : tout d’abord force est de constater que la préexistence de cadres partenariaux pérennes et efficaces installés en amont constitue un prérequis indispensable pour prétendre à une approche effective de la question de la formation au moment de l’élaboration du projet urbain. Ce repérage préalable permettra de composer dès le départ les groupes de travail et instances ad hoc, à la fois avec les interlocuteurs incontournables du sujet (Région, Universités…), mais aussi les relais et acteurs locaux spécifiques (CCI, CMA, entreprises, clusters, etc…). De ce tour de table pourra naître, se confirmer ou se consolider, des rapprochements porteurs de sens, permettant d’impulser des projets et des initiatives à la faveur d’offres ou de dispositifs nouveaux et innovants en matière de formation, ou d’accompagnement des parcours.

  • La bonne échelle espace-temps : la question des acteurs doit naturellement renvoyer à celle de la bonne échelle de réflexion. Le projet urbain offre certes un terrain de jeu potentiel pour des déclinaisons opérantes, mais ne constitue en aucun un périmètre de réflexion suffisant. Les logiques territoriales de formation doivent s’analyser et se projeter à des échelles adaptées : spatiale mais aussi temporelle (logique prospective, des entreprises, des filières et des porteurs de projet émergents)

  • Gare aux concepts : il s’agit – presque plus qu’ailleurs – se méfier des concepts faciles formulés au démarrage comme des « injonctions », et qui s’incarneraient comme par magie dans des équipements structurants et rayonnants ! Une grande partie de la réponse réside en effet, on l’a vu, non pas dans des « m2 de SDP à programmer », mais dans le soft de l’action publique, la connaissance fine du territoire, de ses manques et ressources, la mise en œuvre effective de partenariats, et l’amélioration de dispositifs existants venant consolider le maillage de l’offre pour garantir équilibre et accessibilité – physique, économique, culturelle – à l’offre.

  • Créer les opportunités de transformation: pour autant, cette réflexion pourra dans certains cas déboucher sur des projets d’équipement « nouveaux ». Véritable opportunité pour réfléchir aux interfaces vertueuses entre aménités urbains et « campus », ces projets seront souvent le fruit d’un rapprochement complexe et d’une mutualisation de moyens entre différents organismes de formation, publics ou privés. Ils mettront toujours en œuvre les nouvelles modalités pédagogiques d’enseignement et d’apprentissage – dans le cadre d’une approche « phygitale[7] », dont la crise sanitaire a souligné l’importance ! 

[1] Loi d’orientation de 1989 
[2] A défaut d’être nouveau, l’enjeu de la continuité éducative est bel et bien toujours d’actualité : il constitue un défi ardu. C’est d’ailleurs souvent à l’occasion de la réflexion sur le projet urbain – et plus spécifiquement sur la programmation de pôles éducatifs « ouverts, innovants, intégrés »[1] – que les dynamiques partenariales existantes prennent corps dans des instances ad hoc : la matérialisation de l’ambition autour d’un projet d’aménagement de l’espace a un effet « tremplin ».  
[3] Contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelles
[4] Code de l’éducation pour la formation initiale, de la santé pour les formations sanitaires et sociale, du travail et de l’éducation pour l‘apprentissage, du travail pour la formation continue, etc.
[5] Fréquente séparation des directions formation et économie, formation initiale rattachée soit aux Lycées soit à la Formation continue, Enseignement supérieur-recherche rapproché tantôt de la formation initiale tantôt de la direction de l’économie, etc.
[6] Compétence sur l’entretien des lycées mais pas sur le plan de l’activité pédagogique, application de la politique de formation pour les demandeurs d’emploi partagée avec Pôle emploi, projets économiques souvent initiés et pilotés par les villes ou les agglomérations et surtout les métropoles, etc.     
[7] A la fois physique et digitale